Un débat inclusif pour une sortie de crise en République de Guinée
La Guinée a plus que jamais besoin d’un débat inclusif non seulement sur le fonctionnement de l’état mais aussi sur la nature de nos institutions et donc l’état même de la république. Je vous propose quelques raisons.
Au moment où j’écris ces mots je ne sais pas si les élections auront lieu ou pas. Je souhaite vraiment que la vertu républicaine et la responsabilité de protéger les citoyens du Covid-19 qui incombe à l’état prévalent et que les élections soient suspendues. Ce report serait dans l’intérêt général. Qu’importe. La Guinée a plus que jamais besoin d’un débat inclusif non seulement sur le fonctionnement de l’état mais aussi sur la nature de nos institutions et donc l’état même de la république. Je vous propose quelques raisons.
D’abord, la crise actuelle qui sévit en Guinée a deux aspects positifs qui donnent espoir. Le premier est l’insistance de l’opposition sur un fichier électoral crédible. Le deuxième est la conversion totale de la population, du moins dans le langage, à l’idée que le pouvoir souverain et les droits fondamentaux doivent être garantis pour une constitution. Ces deux développements suggèrent une tendance vers un changement dans la culture politique du pays que nous devons tous saluer. Cependant, l’évolution dans la culture politique ne devrait pas se limiter seulement à l’adoption de normes électorales modernes et à l’idolâtrie de la suprématie accordée à la constitution dans la hiérarchie des normes juridiques et la loi en particulier.
Les professions de foi masquent un paradoxe. La classe politique professe aspirer à une sortie de crise alors que persistent encore les problèmes d’hier dans le jeu politique, les visions de la gestion de l’état, surtout par rapport à la conception de la vie publique républicaine et de la citoyenneté. Ce paradoxe se traduit dans les faits par une anxiété au niveau de la population sur l’avenir dû à un flou moral et le manque d’horizon discernable dans les démarches à la foi du pouvoir et de l’opposition. Le peuple ressentirait donc ce que tout philosophe, juriste et politologue devrait savoir : qu’il y a un écart entre la pensée politique et la vision du pouvoir qui ne peut être comblé dans la pratique par des actes institutionnels.
La réalité que nous vivons donc semble être bifurquée. Le discours est progressiste mais le quotidien trahit les valeurs séculaires, libérales et républicaines. Le résultat est palpant. Au manque total dans le fonctionnement rationnel de l’état s’ajoute le doute des uns sur les intentions réelles des autres. L’idée qui émane de part et d’autre est que le but réel du jeu politique est de capturer l’état afin de mettre ses moyens coercitifs au service des siens et de leurs intérêts : parents, partisans et communauté.
Il y a un autre paradoxe qui nuit à la possibilité de nous orienter. Il tient à la tension entre, d’une part, le droit à la liberté d’expression, qui est indispensable à la prise de parole pour tout un chacun, et, de l’autre, l’inégalité des ressources mentales et intellectuelles qui nécessairement mine le débat rationnel au moment des prises de positions. Il n’y a pas une solution simple à ce paradoxe où tout le monde est ‘expert’ et où l’expérience individuelle apparait comme la preuve des arguments que chacun veut avancer. Bref, tout le monde est ‘expert’ des causes de son mal même si le mal est plutôt le symptôme d’une maladie dont le diagnostic nous échappe encore.
Il n’y a aucun doute que dans un tel débat tous les participants éprouvent un amour profond pour le pays. Malheureusement, la vérité et les facultés et les capacités mentales correspondantes, à savoir la connaissance (ou le savoir) et la sagesse, ne dépendent pas de l’amour seulement—même si ce dernier leur est indispensable. Autrement dit, nous pouvons tous prêcher l’amour et la vérité mais tous les sermons ne sont pas bien fondés.
La solution est l’institution d’un forum pour un débat rationnel, ouvert et invitant. Il faut surtout éviter qu’un tel débat public relève de la cacophonie. Il doit être structuré autour du droit à l’information et de l’obligation à la transparence et à la vérité sur les symptômes de notre mal : non seulement les dysfonctionnements de l’état mais aussi les pratiques néfastes anti-républicaines et anti-libérales qui subsistent depuis longtemps au niveau de la société civile et des partis politiques mais aussi leurs causes et effets.
Il ne faut pas se leurrer sur la possibilité de malentendus dans un tel débat. Déjà, aujourd’hui, il existe un flou sur la nature de consentement de l’opinion tant au niveau du pouvoir que de l’opposition. L’un des scenarios de ce malentendu est celui de penser que les citoyens ou les militants sont consentants quand ils suivent leurs leaders. Or, dans une situation ou prévaut le clientélisme et le communautarisme, il est souvent difficile de savoir si le consentement est seulement partisan, conjoncturel, partiel, ou même absent. La légitimité de l’action politique en souffre alors. Les partisans sont-ils consentants à cause de leurs attentes, des promesses qu’on leur fait, ou parce qu’ils sont partant, c’est-à-dire convaincu du bien-fondé de ce qu’on leur propose ? Les partisans de camps opposés dans le conflit guinéen d’aujourd’hui sont-ils vraiment libres dans leurs choix? Etc.
En vérité, pour sortir de la crise actuelle, il nous faut un autre débat sur nos horizons qui permettront aux citoyens de savoir comment s’orienter et donc de faire des choix réels : des choix qui ne relèverons pas seulement des calculs immédiats ou de justifications douteuses. Nous devons à la Guinée un tel débat inclusif sur nos institutions, y compris la constitution, et les normes politiques, sociales, culturelles, et spirituelles pour leur consolidation. J’attends mon invitation à ce débat.